L’Enfant-phoque
Texte
et illustration de Nikolaus HEIDELBACH
Ed. Les
Grandes Personnes
Les phoques
viennent parfois sur terre et ôtent leur peau pour devenir des humains ;
celle-ci devient alors leur plus grand trésor car ils pourront un jour la
revêtir derechef pour retourner à la mer lorsqu’ils en auront assez d’être
humain.
Un petit
garçon, fils de pêcheur, habite au bord
de la mer avec ses parents. Son plaisir est d’aller nager et d’écouter le soir
sa mère lui raconter les légendes de la mer et de rêver aux créatures
merveilleuses dont elle regorge.
Un jour, suite
à une longue discussion avec sa mère, son père ramène une peau de phoque et la
cache dans le canapé. Le petit garçon la découvre et croit d’abord que son père
est un phoque devenu humain. Mais quand sa mère disparaît, il comprend que
c’est en fait sa mère qui a rejoint l’océan
et qu’elle ne reviendra jamais.
L’enfant reste
donc seul avec son père ; quand il sera grand, il sera marin à son tour,
ou phoque.
L’ouvrage de Nikolaus Heidelbach est une
très belle réussite, alliant une forte identité visuelle à une histoire
poétique et profonde, recelant plusieurs couches de sens.
L’illustration, effectuée à partir d’aquarelles,
se caractérise par un trait sobre, économe en effets et très réaliste. Cette
sobriété renforcée par des coloris doux se marie avec une mise en page ludique
et un foisonnement créatif, l’auteur prenant un évident plaisir à représenter
toutes les créatures énumérées par la mère du petit garçon rêveur.
L’accumulation verbale engendre l’accumulation visuelle dans l’océan de
l’imagination. C’est la première métaphore du livre.
Le lecteur curieux cherchera sans doute à
comprendre le sens de l’étrange histoire qui lui est racontée. Deux pistes
d’analyse peuvent être esquissées, celle de la rupture du couple et celle de
l’expérience du deuil.
Le mari travaille, reste plusieurs jours
en mer et apporte l’argent et la nourriture, tandis que la femme reste au
foyer, s’occupe de la maison et de l’enfant. Si l’on accepte l’idée que la peau
du phoque symbolise l’identité et l’océan la liberté, on peut lire l’histoire
de l’enfant-phoque comme une allégorie expliquant le départ d’une femme effacée
ressentant le besoin de s’épanouir et de vivre sa propre vie. Le fait que le
départ de la mère suive une longue discussion parentale corrobore cette
analyse. Le père amène la peau de phoque et l’enfant, incidemment, révèle
l’emplacement de celle-ci à sa mère, montrant l’acceptation de la décision
maternelle.
Il est possible de lire aussi l’ouvrage
de Nikolaus Heidelbach comme une allégorie sur le deuil, l’océan pouvant faire
aussi figure de cimetière, comme l’ont en leur temps imaginé Paul Valéry et
George Brassens. La peau de phoque devient alors un suaire que revêt la mère
pour aller dans l’outre-monde, qui se situe précisément dans l’imaginaire. Le
conte retrouve alors ses origines mythiques.
On le voit, la simplicité poétique de L’Enfant-phoque cache de nombreuses strates de sens comme le
reflet de l’eau cache tout un océan. Évocation et célébration de l’imaginaire
enfantin, allégorie sur l’acceptation de la séparation, œuvre métaphorique sur
la perte et le deuil, l’ouvrage de Nikolaus Heidelbach peut être tout cela à la fois, pour qui accepte de
rentrer dans son univers et de l’habiter l’espace de quelques pages.